Analyse d'une situation vécue

*Ce billet contient des extraits d'un travail universitaire réalisé dans le cadre du cours DDM1600 - Stage d'enseignement  I : sensibilisation à la réalité scolaire et à la relation enseignants-élèves.

Pendant mon premier stage, j'ai appris comment structurer ma pensée lorsque je réfléchis à ma pratique. La structure proposée se vivait en quatre étapes: décrire, examiner, généraliser et réinvestir. Voici un exemple de réflexion que j'ai fait dans mon journal de bord en utilisant cette méthode et en décortiquant les étapes.

Description de l'expérience vécue

Il y a, dans ma classe, un élève qui me donne un peu de fil à retordre. Lors de mes prises en charge, il prenait une posture nonchalante, se croisait les bras et regardait en l’air avec un sourire aux lèvres pour m’ignorer. À d’autres moments, il marmonnait n’importe quoi de ridicule à chacune des questions que je posais à la classe.

Dès les premiers jours de mon stage, j’ai eu à le retirer d’une activité en équipe. Nous faisions un jeu pour amorcer un module sur la géométrie et il butait sur toutes les consignes. Par exemple, il a retardé son équipe jusqu’à ce que j’intervienne sous prétexte qu’il ne trouvait aucune des formes jolies. Je lui ai répété plusieurs fois mes attentes puis je lui ai donné un avertissement final très clair en lui disant qu’à la prochaine intervention, il allait devoir aller s’asseoir seul et ne pourrait plus participer au jeu parce qu’il empêchait son équipe de fonctionner. Évidemment, il a récidivé et pour lui montrer qu’il avait atteint ma limite, j’ai dû l’isoler pour le reste de l’activité.

Mon enseignante l’a pris à part à plusieurs reprises pour lui parler, sans succès. Avant le mi-stage, suite à une rencontre avec la directrice adjointe pour faire le portrait de classe, l’élève a été rencontré par la directrice et par l’éducatrice spécialisée de l’école. À la fin de cette rencontre, la directrice m’a fait venir dans le corridor et l’élève a été obligé de s’excuser et de m’expliquer quelle serait la conséquence s’il continuait. Il pleurait.

Après sa rencontre avec la directrice adjointe, il s’est mis à avoir des comportements exagérés. Il répondait « oui, madame ! », « non, madame ! » ou « d’accord madame ! » haut et fort à la moindre occasion. Je ne savais pas si je devais le voir d’un bon œil ou pas. Quelque part au fond de moi, j’avais l’impression de me faire défier encore plus.

Pendant toute la durée du stage, je me suis sentie démunie face à cet élève. Je ne savais pas toujours comment intervenir, quoi laisser passer et quelles conséquences lui donner. Il m’intimidait parfois avec ses réactions brusques lors de mes interventions. Par exemple, un jour, il s’est retrouvé dans « le rouge » pendant que je lui enseignais. Il s’est levé en colère et il s’est mis à bousculer les pupitres en jurant.

 

Examiner

Je me suis beaucoup remise en question à travers les comportements de cet élève. Pourquoi agissait-il comme ça avec moi ? Était-il comme ça aussi avec son enseignante ? Quelle était la meilleure façon d’intervenir auprès de lui ? Est-ce que ce serait mieux d’isoler son pupitre dans un coin ? Est-ce que punir était la bonne façon de réagir ? Comment le faire progresser autrement ?

 

J’ai réfléchi et j’ai tenté de m’y prendre autrement avec lui. Au lieu de souligner sans arrêt ses comportements négatifs, j’ai essayé tant bien que mal de saisir chaque occasion où il participait en classe. Dès qu’il levait la main, je lui donnais presque systématiquement la parole. Ça m’a donné des occasions de le renforcer positivement. Il y a des jours où ça marchait bien et d’autres où ça ne donnait pas de résultat.  

 

Généraliser

J’ai beaucoup discuté avec mon enseignante associée pour essayer de répondre à ces questions. Ensemble, nous avons également abordé la question avec l’enseignante de la classe d’accueil où il se trouvait avant les Fêtes pour voir s’il manifestait le même genre d’opposition envers elle. Elle nous a assuré que non, mais elle nous a indiqué que l’enseignante qui faisait sa fin de tâche (elle était à 4 jours par semaine) avait eu beaucoup de difficultés avec lui. Une discussion avec cette enseignante-là nous a permis de faire la lumière sur les raisons pour lesquelles il agissait comme ça avec moi.

 

Je savais que cet élève a un cheminement très particulier, mais je n’avais jamais pensé que ça pouvait être la cause de mes ennuis avec lui. Il habite chez son oncle avec ses six frères et sœurs. Son père est un prisonnier politique au Congo et sa mère n’arrive pas à obtenir le droit d’entrer au Canada.

 

L’enseignante qui fait les fins de tâches nous a dit que pour sa part, elle sentait que cet élève n’avait « qu’un seul maître ». Elle m’a dit qu’elle avait senti un changement dans son attitude le jour où il avait compris qu’elle ne partirait pas, qu’elle ne l’abandonnerait pas.

 

La conclusion à laquelle je suis arrivée, c’est qu’il s’opposait à moi pour se rendre détestable, pour créer une distance entre lui et moi, parce qu’il sait que je ne resterai pas. Il ne veut pas s’attacher à moi pour ne pas souffrir de mon départ.

 

Réinvestir

À partir du moment où j’ai compris ceci, j’ai changé de tactique. J’ai respecté la distance qu’il essayait de mettre entre nous en n’essayant plus d’améliorer ma relation avec lui. J’ai pris un recul face à la situation et je me suis sentie plus calme.

 

À une seule reprise, il a refusé à nouveau de coopérer avec moi. C’était une journée où j’étais en prise en charge totale et où mon enseignante associée était malade. Il y avait donc une suppléante avec moi dans la classe.

 

La réaction de mon élève ne m’a pas surprise, compte tenu de ce que je savais désormais à son sujet. Je lui ai donc donné du travail à faire et je l’ai envoyé dans une autre classe comme me l’avait suggéré mon enseignante associée. Cette intervention lui a donné un cadre rassurant avec une enseignante à laquelle il est attaché.

 

Ce que j’ai appris de la situation, c’est l’importance d’être à l’écoute des élèves. Cette situation m’a démontré que les enfants ont tous une histoire, un bagage différent qui régissent leur vie, leurs réactions et leurs interactions avec les autres et qu’il faut absolument en tenir compte. Si j’avais compris plus tôt la signifiance de sa situation personnelle, j’aurais sans doute agi différemment avec lui dès le départ, nous évitant plusieurs tensions.

 

J’ai aussi appris l’importance de la coopération entre les membres de l’équipe-école parce que c’est avec l’aide d’autres enseignants que j’ai pu comprendre la situation. De plus, j’ai été en mesure de prendre conscience de l’importance d’adapter mes interventions à mes élèves et j’ai compris pourquoi on ne peut pas être « équitable envers tout le monde ».

Par la suite, j’ai eu à intervenir avec une autre élève pour une problématique complètement différente. J’ai été capable de prendre une décision plus éclairée parce que je connaissais et que j’avais déjà réfléchi sur son historique familial.

 

 

Sans le savoir, l’élève qui a été le plus difficile avec moi est celui qui m’aura peut-être fait le plus grandir…

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