Se mettre à leur place pour mieux enseigner

*Ce billet contient des extraits d'un travail universitaire réalisé dans le cadre du cours ASS6826 - Dépistage des difficultés en lecture et en écriture.

Le cahier de l'écrivain

Un des travaux de session du cours de dépistage des difficultés en lecture et en écriture et interventions en classe ordinaire était composé de 8 situations d'écriture que pourraient vivre des élèves du primaire et que nous devions réaliser nous-même dans un cahier de l'écrivain. De plus, chaque deux semaines, nous avions des rencontres de type "conférence d'écriture" en équipe pour lire nos textes, échanger sur nos processus et nos difficultés et pour essayer de bonifier ensemble les textes lus.

 

Bien qu'exigent en temps, ce travail a eu un effet bénéfique sur ma perception du rôle de l'enseignant dans l'enseignement de l'écriture, en particulier en regard des élèves en difficultés d'apprentissages.

 

Avant d'élaborer sur ce sujet, voici deux textes courts que j'ai composés pour mon cahier. Je les partage parce que j'y reviendrai plus loin dans mes réflexions.

Nouvelle en 140 caractères

Fort Résolu. Un sachet d'eau semé sur un morne le matin me fait sorcière vaudou quand tombent la pluie et la grêle au coeur de l'après-midi.

Story Cube

Il entra dans la tour et referma la porte en vitesse derrière lui. Autour de lui, il n'y avait rien. Rien d'autre, en tous cas, qu'une ampoule éteinte dans le plafonnier. Il cligna longuement des paupières, pour s'accoutumer à la pénombre. Un rayon de lune s'infiltrait par le trou de la serrure et projetait des ombres terrifiantes sur les murs froids. Il hésita et s'accorda finalement quelques secondes pour reprendre son souffle, penché, les mains sur les genoux. Quelques secondes, c'est tout ce qu'il eut. Bientôt, des bruits de pas feutrés se firent entendre dans le couloir devant lui. La sonnerie de son téléphone portable déchira le silence avec tant de force que son coeur fit un bond dans sa poitrine. La chose qui marchait devant lui s'arrêta net. Le temps sembla se figer. Il leva doucement la main et appuya sur l'interrupteur de sa lampe de poche. La chose de l'ombre se matérialisa soudain devant lui. Ainsi vint la peur.

Ce que m'a apporté l'écriture ?

Pour le cours "L'écriture et sa didactique au primaire", j'ai eu à lire Enseigner l'écriture, un travail de chef d'orchestre, de Anne Longpré. Pour résumer rapidement, l'article explique que l'enseignement de l'écriture est une tâche complexe et que pour la mener à bien, l'enseignant doit y jouer plusieurs rôles.

 

Comme nous ne sommes pas vraiment revenus sur le texte dans le cours de didactique, c'est le cahier de l'écrivain qui m'a permis de comprendre ce que voulait dire l'auteure et de voir comment parvenir à jouer ces différents rôles de manière concrète en classe.

 

À propos du rôle de scripteur, Longpré écrit : "Parce qu'il est confronté à la même tâche que celle donnée aux élèves, l'enseignant peut aussi mieux comprendre les difficultés des élèves." C'est exactement ce que le cahier de l'écrivain a fait pour moi: il m'a confronté. De texte en texte, j'ai ressenti la pression vécue par les élèves et j'ai été en mesure d'anticiper les difficultés auxquelles ils auraient fait face parce que je les ai expérimentées moi-même.

 

Toujours en lien avec le rôle de scripteur, l'écriture des textes m'a permis de prendre conscience de mon processus personnel et de mes propres stratégies d'écriture. Pour vivre l'expérience du cahier de l'écrivain de manière la plus authentique possible, j'ai toujours fait mes ébauches manuscrites. Je me suis forcée à utiliser la rature plutôt que la gomme à effacer et je me suis rendu compte que je rature beaucoup ! J'ai écrit, raturé, formulé différemment, reformulé encore... ce qui fait qu'aujourd'hui, je me sens également plus compétente à transmettre ma représentation de l'écriture.

Et la conférence d'écriture ?

J'avais déjà l'habitude des conférences d'écriture et de la réécriture grâce au certificat en création littéraire que j'ai commencé avant le baccalauréat en enseignement. J'ai donc un peu de mal à dire en quoi la réécriture m'a aidée dans ce contexte en particulier.

 

Je pense toutefois que d'avoir vécu la conférence dans un contexte "scolaire" m'a permis de bien comprendre l'impact que cela peut avoir pour des élèves en difficultés. Pour eux, il ne s'agit pas de rendre un texte publiable: il s'agit de faire la différence entre le succès et l'échec.

 

J'ai pris conscience que des équipes hétérogènes bien formées peuvent faire émerger des pistes de solutions aux problèmes rencontrés par les élèves en difficultés. Ces cercles d'écrivains, en plus de les aider ponctuellement sur le texte dont il est question, permettent aussi de développer leur pensée métacognitive, ce qui les aide à long terme.

Ce qui a changé dans ma posture d'enseignante, en particulier au regard des élèves en difficulté ?

Je sais maintenant que l'enseignant doit se connaitre (et se reconnaitre !) comme scripteur, être à l'aise de se dévoiler et de partager ses pensées au sujet de l'écriture. Il doit pouvoir rendre explicites ses stratégies cognitives et métacognitives. Pour y parvenir, l'enseignant doit écrire devant les élèves et modéliser les processus d'écriture. Il doit aussi écrire pour eux et leur présenter ses productions pour promouvoir l'écriture.

 

En plus de contribuer à faire évoluer ma conception du rôle de l'enseignant face à l'écriture, ce travail m'a permis de prendre conscience de l'importance de se placer soi-même dans la même situation d'écriture que les élèves pour mieux anticiper les difficultés.

 

Peu importe la situation d'écriture proposée, je crois qu'il est essentiel de la vivre soi-même d'abord afin de mieux cibler à quelle(s) étape(s) du processus d'écriture il faudra intervenir et pour planifier de quelle façon le faire.

 

Par exemple, la nouvelle en 140 caractères m'a demandé beaucoup de travail lors de l'étape de la révision alors que je n'ai fait aucune planification. J'ai aussi pris conscience que c'est beaucoup plus facile à faire à l'ordinateur directement qu'à la main, mais que le mince espace occupé sur le papier pourrait devenir un facteur de stress pour certains élèves. Je crois que ça résume bien le fait que l'expérience m'a permis de comprendre qu'il est nécessaire de vivre la tâche si on veut la présenter aux élèves de la manière la plus "efficace" possible pour tous.

 

Dans un autre ordre d'idée, je crois que les conférences d'écriture que j'ai vécues en classe vont m'aider lorsque j'en ferai avec les élèves. À la suite de mon expérience, je pense que je serais portée à utiliser une grille de révision pour accompagner les élèves. Pour certains textes, il était facile de donner des commentaires parce que nous cherchions des choses précises. Je pense entre autre au haïku où la longueur des vers était importante. D'autres textes, comme celui du story cube étaient plus libres dans le style et c'était par conséquent moins facile de donner des commentaires vraiment constructifs sur le contenu ou la forme. Je pense donc que dans certains contextes, il vaut mieux outiller les élèves qui écoutent (ou lisent) et pour les aider à porter leur attention sur des points en particulier.

 

Évidemment, il faut que ces observations soient cohérentes avec les objectifs d'écriture si on veut aider les élèves en difficultés à améliorer leurs textes. D'ailleurs, je pense que je limiterais aussi le nombre de choses à réviser chaque fois, quitte à faire plusieurs conférences sur un même texte, surtout pour les élèves en difficultés.

 

Ce travail m'a également permis de mettre en réserve plusieurs idées de situations d'écriture originales et signifiantes dont j'aimerais me resservir lorsque j'aurai ma propre classe. C'est un apport qui semble peut-être négligeable, mais lorsqu'on sait qu'écrire pour être lu est une grande source de motivation, je suis certaine que ces projets auront un effet positif sur les élèves. Écrire pour un concours de twittérature et de haïku ou pour l'exposition d'un musée, il y a là de quoi en inspirer plusieurs.

Bibliographie

Longpré, A. (2001-2002, Hiver). Enseigner l'écriture: un travail de chef d'orchestre. Québec Français , p. 52 à 55.

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