Un grain de sable dans l'engrenage

Les classes poubelles

Au début de l'année scolaire 2014, j'ai publié sur mon portfolio un billet à propos des écoles à vocations spéciale. Dans ce billet, j'ai émis certaines réserves quant à l'utilisation de test de sélection pour admettre les élèves à ces programmes parce qu'à l'époque, je craignais que ça ait un effet pervers sur le système public d'éducation. À l'époque, ma réflexion allait comme suit:

 

"On place dans des classes « orientées » les meilleurs élèves, ceux qui réussissent les tests d’admission, alors qu’on laisse les élèves moins performants (et par conséquent les élèves en difficulté) dans les classes ordinaires, réduisant presque à néant les modèles positifs pour les élèves en difficultés. Ces classes à vocation spéciales où les enfants sont triés sur le volet pourraient-elles avoir l'effet pervers de nous faire assister graduellement à un retour des classes spécialisées, faute de bons élèves pour remplir les classes ordinaires ?"

 

Au cours des dernières semaines, j'ai lu plusieurs articles à ce sujet dans les médias québécois: il semble que la société ait enfin décidé de s'intéresser à la délicate question de l'écrémage scolaire.

L'écrémage, qu'est-ce que c'est ?

Au sens figuré, "écrémer" veut dire enlever ce qu'il y a de meilleur dans quelque chose.

 

En éducation, ça consiste à prendre les élèves qui réussissent le mieux et à les envoyer dans les écoles privées ou dans des classes à vocation particulière où les admissions reposent sur la réussite scolaire. Ce processus ne se fait pas tout à fait de manière consciente, c'est plutôt un phénomène social sournois, un cercle vicieux dans lequel le système s'enfonce de plus en plus.

 

Le phénomène est complexe et repose sur cinq facteurs importants:

  1. Environ 20% des élèves québécois fréquentent une école privée. Ces écoles ont, pour la plupart, des critères d'admissions spécifiques qui reposent généralement sur la performance scolaire. Il faut par conséquent que l'élève réussisse bien pour être admit. (Mon amie Stéphanie a d'ailleurs écrit un billet qui résume parfaitement la situation. Je vous inviter à aller le lire en cliquant ici)
  2. Pour concurrencer l'offre des écoles privées, le système public offre maintenant un large éventail de programmes à vocation particulière comme le sport-étude, l'anglais intensif, le défi académique, le programme international, etc. Pour la plupart, ces classes (ou ces écoles !) utilisent elles aussi des examens d'admission pour trier leur clientèle. 
  3. À cause des programmes à vocation spéciale et des écoles privées qui sélectionne leurs élèves en fonction de la réussite scolaire, les écoles de quartier (en particulier dans les secteurs moins favorisés) perdent un grand nombre d'élèves forts et par conséquent, la proportion d'élèves en difficultés dans chaque classe augmente.
  4. La proportion d'élèves en difficulté dans chaque classe augmente mais les coupures budgétaires imposées par le gouvernement font en sorte que les services offerts diminuent.
  5. La diminution des services entraîne un essoufflement professionnel de la part des enseignants, qui doivent mettre les bouchées doubles pour soutenir les élèves en difficultés. Qu'on le veuille ou non, la qualité de l'enseignement offert en souffre, par la bande. 

Il est difficile de déterminer le point de départ de cette spirale infernale. C'est un peu comme le jeu de l'oeuf ou la poule puisque chacun des acteurs impliqués dans l'équation semble détenir une réponse différente. 

 

Mais la conclusion des deux articles que j'ai lu dernièrement sur le sujet, c'est que l'école publique, en écrémant sa clientèle au profit des programmes à vocation spéciale, contribue elle-même à la détérioration de l'image que les parents se font d'elle. En résumé: l'école publique s'envoie à sa propre perte !

 

Quoi qu'on en dise, l'étau semble se resserrer de plus en plus et il semble qu'on se dirige inévitablement 20 ans en arrière, avec le retour (involontaire) des classes spéciales pour élèves en difficulté.

 

Comme enseignante, je suis préoccupée par cet engrenage qui est au coeur du phénomène des "classes-poubelles" (pour reprendre l'expression de la sociologue Nathalie Mons qui a été citée dans Le Devoir). Je sais que bientôt, c'est moi qui va devoir composer au quotidien avec les conséquences de cet écrémage. 

 

Dans ce dossier, je choisi volontairement de ne pas remettre en question ma formation universitaire. Il serait trop facile de blâmer la formation des maîtres et de dire que les enseignants ne sont pas assez outillés pour faire face à la quantité d'élèves en difficulté qui se retrouvent devant eux. Pour moi, le vrai problème, ce ne sont pas les enseignants: c'est le système d'éducation québécois à trois vitesses. 

 

Aujourd'hui, j'ai pris une décision: je refuse de m'enrôler dans la facilité d'une classe d'élèves triés sur le volet, que ce soit au privé ou au public. J'ai foi en l'école de quartier pour qui le sentiment d'appartenance à une communauté est plus fort que la réussite scolaire. J'ai foi en un milieu qui choisit d'offrir sa vocation spéciale à tous les enfants, sans égard aux relevés de notes de ses élèves.

 

Je suis peut-être naïve, mais aujourd'hui, je choisis d'être un grain de sable dans l'engrenage...

Bibliographie

Vigneault, Stéphane. 2016. "Pour en finir avec l'écrémage scolaire". La Presse (Gatineau). En ligne. 22 octobre 2016. <http://plus.lapresse.ca/screens/6c930aab-1e00-4904-9042-2ce12913bc49%7C_0.html>. Consulté le 22 octobre 2016.

 

Porter, Isabelle. 2016. "La dérive tranquille de la classe ordinaire". Le Devoir (Québec). En ligne. 13 octobre 2016. <http://www.ledevoir.com/societe/education/482112/consultations-sur-la-reussite-scolaire-la-derive-tranquille-de-la-classe-ordinaire>. Consulté le 13 octobre 2016.

 

Lagacé, Patrick. 2016. "Si l'éducation était importante (12)". La Presse (Québec). En ligne. 24 novembre 2016. <http://plus.lapresse.ca/screens/060ec28e-6bbb-47b5-ba14-a7b6b5f244d2%7C_0.html>. Consulté le 24 novembre 2016.

 

Laurence, Stéphanie. 2016. "La subvention des écoles privées". En ligne. 15 février 2016. <http://stephanieens.jimdo.com/2016/02/15/la-subvention-des-écoles-privées-au-québec/> Consulté le 24 octobre 2016.

Écrire commentaire

Commentaires: 0